Mais quelle idée !?! (nouvelle)

« Tu n’oseras jamais…

- On parie ?

Voilà ce que je lui ai répondu, cédant comme souvent aux provocations pourtant évidentes… Elle doit bien s’amuser à m’imaginer dans cette situation ! Pourquoi faut-il que je sois si manipulable ?

Pourtant tout est parti de rien…

- Tu as pensé à mon cadeau d’anniversaire j’espère…

- Bien sûr !

J’ai répondu sans même y réfléchir. Un réflexe, une manière d’éviter ce genre de question piège ; mais je n’ai pas vu le bon piège… On est en juin, pas en novembre, pourquoi me parle-elle de son anniversaire ? Son regard s’est assombri en me voyant cogiter ainsi. Elle n’a rien dit mais elle a compris que j’étais à côté de la plaque. J’ai tenté une approche câline chargée de reproche :

- Quoi ? Tu doutes de moi ? Tu veux gâcher la surprise ?

- Quelle surprise ? Tu ne sais même pas de quoi je parle !

Elle est allée s’enfermer, visiblement attristée, dans la salle de bains, prétextant qu’il était temps de prendre sa douche.

J’ai recommencé à réfléchir à ma gaffe. Ça m’a pris du temps ! Je suis nulle en dates ; Maman disait toujours que je devais avoir hérité du cerveau de mon père, j’étais comme un homme qui oubliait toujours les anniversaires et ce depuis toute petite… Le pire c’est qu’au fond je savais mes dates sur le bout des doigts si on m’interrogeait, j’oubliais juste qu’elles revenaient tous les ans !

J’avais pensé à notre rencontre (12 mai) – déjà fêtée ; notre première fois (le 25 mai) – déjà fêtée ; notre coming out en tant que couple officiel (le 31 mai) – déjà passé, mon emménagement dans son appartement (le 27 août) – trop loin. Il m’a fallu dix bonnes minutes pour trouver ce qui avait bien pu se passer au cours des jours suivants ; je m’en suis voulu quand j’ai trouvé : la première fois que nous nous sommes dit les trois mots ! Quelle bécasse je faisais ! Je savais pourtant à quel point elle pouvait être sentimentale et à cheval sur toutes sortes d’anniversaires !

Elle était encore sous la douche, sans doute à pleurer en secret. J’allai donc dans la salle de bains et tentai de me rattraper en cajoleries et promesses que je n’avais pas oublié quelque chose de si important. Elle continuait de bouder, refusait de me croire, jusqu’à ce que je lui dise « Mais comment pourrais-je oublier le jour où tu as dit que tu m’aimais ? ». Alors seulement elle a commencé à se calmer. Nous avons parlé, j’ai avoué que je n’avais pas encore le cadeau mais que j’avais déjà l’idée de ses rêves.

- Vraiment ?

- Mais oui bien sûr ma puce ! Je ne voulais seulement pas que tu tombes dessus avant, tu aurais deviné ce que c’était, et je voulais te faire la surprise.

Autre piège. Créé par mes soins cette fois. Quelle idée d’inventer ça aussi !

- Ah je vois, l’emballage est reconnaissable c’est vrai…, sourit-elle.

Oups. De quoi parlait-elle ? Un emballage reconnaissable ? Je n’avais pas d’idée et voilà qu’elle attendait quelque chose de précis ! Heureusement, mon décodeur n’avait de bugs que sur les dates. Sa manière de se lover contre moi en disait long sur ce qu’elle avait en tête… Mince, je n’aurais jamais pensé à ça ! Et ça devait se voir, car elle recommença à me regarder en fronçant les sourcils.

- Quoi, ce n’est pas ça ?

Par « ça », elle entendait un sex toy. Ses meilleures copines en avaient et ne manquaient pas de souligner comme il était agréable de les utiliser. Elle m’avait parlé d’en acheter un, mais je lui déclarai que j’étais plus manuelle ; pour moi, les accessoires n’étaient que des gadgets commerciaux.

- Ah, j’aurais dû m’en douter ! Dire que c’est ce qui me ferait le plus plaisir, mais non, Madame préfère se débrouiller par elle-même et ne jamais expérimenter !

- Mais je n’ai jamais dit ça !

Le stress de la situation me faisait un peu perdre les pédales ; je ne voulais pas lui faire de peine et rien ne marchait ! Je perdais mon calme trop vite, j’allais la faire pleurer si ça continuait… Alors j’ai déclaré cette ânerie :

- C’est juste que j’ai du mal avec les trucs électroniques, je ne trouve pas ça sexy !

- Oh je vois, faut rester naturel… Je te préviens si ton idée bio c’est d’m’offrir un concombre à 2€ pour qu’on s’envoie en l’air, tu pourras jouer toute seule !

- Mais n’importe quoi ! Puisque tu veux absolument tout savoir, je pensais plus à un gode ceinture bien particulier !

- Tu n’oseras jamais…

- On parie ? »

Et me voilà, en plein dans le seul sexshop de notre petite ville perdue où je suis entrée sous le regard ahuri d’un de mes collègues. Mais bon entrée pour entrée, il va bien falloir que je le trouve ce gode ceinture… Le pire c’est que sur le coup de l’impulsion, j’ai révélé un fantasme que j’ai vraiment : depuis que j’ai lu Caresser le velours de Sarah Waters, cet objet hante mes rêves ; un gode ceinture certes mais pas n’importe lequel. Celui décrit par la romancière est pensé pour le plaisir des deux partenaires : la ceinture est aussi conçue pour stimuler le clitoris de celle qui le porte… J’avoue que l’idée d’utiliser ce genre de joujou ne me répugne pas du tout ! Mais ce n’est pas comme si c’était la demande la plus fréquente et je ne suis pas au Sexodrome de Pigalle ! Alors me voilà, en train d’expliquer cette commande bien particulière à une inconnue qui ne s’émeut pas, au milieu d’autres clients. Décidément quelle idée j’ai eue là ?